IRM fonctionnelle : comment interpréter les tâches rouges et les inférences statistiques associées
Introduction:
Dans cet article de blog, j’expliquerai ce que l’IRMf permet de voir et surtout ce qu’elle ne permet PAS de voir. Puis, les difficultés de méthodologie auxquels se confrontent les chercheurs.

L’IRMf est une grande turbine accompagnée d’un puissant champ magnétique. Et c’est grâce aux fluctuations d’oxygénation dans le cerveau que l’on va pouvoir capter différentes images. Les fluctuations d’oxygénation sont appelées le signal BOLD (blood oxygenation level dependant). Les chercheurs partent d’un principe encore un peu débattu qui est, quand nous exécutons une tâche, notre cerveau aura besoin d’oxygène pour apporter des nutriments aux neurones, alors du sang oxygéné arrive. Et c’est cette différence de champ magnétique quand le sang oxygéné arrive qui sera capté grâce à l’hémoglobine du sang et permet d’avoir des images par traitement informatique.

Exemple d’IRMf (Neurospin)
À quoi correspondent les tâches rouge/orangé, sont-elles l’activation de la zone ? L’intensité de cette zone ?
INTERPRÉTATION
Le plus important à comprendre sur une image d’IRMf sont les taches rouges que l’on peut apercevoir. Ces tâches ne sont ni l’intensité, ni l’activation d’une partie du cerveau. Mais bien la probabilité que l’activité de cette zone ne soit pas liée au hasard mais à l’hypothèse de recherche.
Exemple:
Dans un paradigme simple visant à étudier la spécificité cérébrale liée au mouvement du pied droit, les chercheurs procèdent en plusieurs étapes à l’aide de l’IRM fonctionnelle (IRMf). Dans un premier temps, l’activité cérébrale du participant est enregistrée au repos (condition REPOS). Ensuite, on lui demande de bouger le pied droit pendant un nouvel enregistrement (condition PIED).
L’objectif est ensuite de comparer ces deux états en soustrayant l’activité cérébrale au repos de celle observée lors du mouvement : PIED – REPOS. Grâce à un traitement informatique et statistique, cette soustraction permet de générer une carte d’activation cérébrale. Les zones colorées sur cette carte indiquent les régions du cerveau qui ont le plus de chances d’être davantage actives pendant le mouvement du pied droit que pendant le repos.
C’est pour ça que dire que cette zone du cerveau est activée quand il fait ceci, est tout simplement faux. Que cette zone est activée plus intensément est aussi faux, car ce que nous voyons est une reconstitution statistique qui nous montre les zones qui ont “le plus de chance” d’être davantage activé pendant cette tâche qu’au repos.
Tout le cerveau est actif quand on l’enregistre avec l’IRMf, il entend, pense, sent des choses et est même davantage actif que par la tâche concernée. Donc, il faut comprendre que les taches rouges/orangées, jaunes sont juste une probabilité, plus la couleur est chaude, plus cette zone est probable dans le paradigme étudié.
Cependant, ce que nous voyons est l’activité vasculaire mais pas l’activité neuronale.
Nous visualisons les structures vasculaires proches des neurones qui vont les soutenir, mais pas les neurones eux-mêmes. Le signal bold n’est donc qu’un reflet indirect de l’activité neuronale. Voilà pourquoi les études en imagerie sont compliquées à réaliser et à interpréter. Et, le signal BOLD est décalé de quelques millisecondes par rapport à l’activité neuronale, donc la précision est approximative.
De plus, la zone cérébrale mise en évidence par l’IRMf n’indique pas que cette zone est dévolue à une seule fonction. Elle est plutôt incluse dans des réseaux fonctionnels qui se font et se défont selon la tâche cognitive proposée. C’est pour ça qu’il ne suffit pas d’enregistrer quelqu’un pendant qu’il exécute une tâche et nous saurons la “zone de la mémoire” ou de l’empathie. Le cerveau est tellement complexe, il n’y a pas de zone précisément définie, il fonctionne en réseau, évolue et est plastique.
Méthodologie
Pour comprendre comment les chercheurs interprètent leur IRMf, il faut comprendre comment les chercheurs pratiquent leur inférence.
Il existe deux inférences générales, pour corréler une fonction cognitive (mémoire, langage..) à une structure (zone du cerveau).
L’inférence directe, c’est l’inférence la plus simple.
Exemple: Les chercheurs conçoivent une tâche où les participants doivent lire des phrases complexes à l’intérieur d’un scanner IRMf.
Raisonnement (inférence directe) :
« La tâche mobilise des processus linguistiques, donc nous nous attendons à observer une activation dans les régions du cerveau impliquées dans le langage, comme l’aire de Broca. »
C’est une déduction. Nous partons de la fonction jusqu’à la structure.
Inférence inverse
Et, il y a l’inférence inverse. Elle consiste à induire une information sans observation directe.
Par exemple, lors d’une expérience, on observe une activation dans l’aire de Broca (zone du cortex frontal gauche) pendant une tâche effectuée par un participant dans un scanner IRMf.
Raisonnement (inférence inverse) :
« L’aire de Broca est connue pour être impliquée dans le langage, donc si elle s’active ici, on induit que le participant est en train de traiter du langage. »
C’est une induction, nous partons de la structure jusqu’à la fonction
De telles affirmations ne sont déductivement vraies que si et seulement si, le processus mental spécifique entraîne l’activation dans la région d’intérêt, mais ce n’est pas le cas de l’inférence inverse où l’on ne voit pas directement la corrélation.
La recherche en imagerie utilise beaucoup l’inférence inverse. Il faut comprendre que l’inférence inverse a permis beaucoup d’avancées mais est peu fiable.
En bref:
Déduction (inférence directe):
Règle générale : Tous les feux rouges signifient qu’il faut s’arrêter.
- Observation : Le feu que je vois est rouge.
- Conclusion : Je dois m’arrêter.
Ici, on applique une règle générale à une situation précise.
Induction avec le feu rouge :
- Chaque fois que j’ai vu un feu rouge en traversant la rue, les voitures s’arrêtaient.
- Aujourd’hui, je vois un feu rouge à un autre carrefour.
- Conclusion inductive : Les voitures vont probablement s’arrêter à ce feu rouge aussi.
Ici, on généralise à partir d’observations répétées.
Limites des inférences
Les philosophes admettent que l’inférence inverse est un outil essentiel à la découverte scientifique. Mais, il y a des pistes pour que l’inférence inverse reste utilisée mais soit plus fiable.
Si, l’inférence inverse est utilisée dans un contexte avec des calculs probabilistes comme le théorème de Bayes, nous pouvons voir si notre inférence est plus ou moins crédible. Enfin, il existe des outils comme la TMS (stimulation magnétique transcrânienne) ou les études lésionnelles (enlever une zone du cerveau pour voir dans quoi elle joue) qui peuvent nous indiquer en complément ce que nous cherchons.
Nous avons vu qu’il y avait des problèmes avec l’inférence inverse mais qu’en est-il de l’inférence directe ? En fait, elle se confronte elle aussi à un problème majeur.
L’inférence directe est une corrélation et non une relation de cause à effet. On ne peut alors déduire que les régions impliquées soient nécessaires et suffisantes dans l’engagement du processus mental. En effet, il existe des exemples bien connus de cas dans lesquels les régions activées pendant une tâche ne sont pas nécessaires à la tâche. Par exemple, l’hippocampe est activé pendant le conditionnement classique retardé, mais les lésions de l’hippocampe n’altèrent pas cette fonction
Est-il possible de trouver une région précise impliquée dans un processus mental particulier avec l’IRMf ?
La réponse à cette question est très compliquée, mais on pourrait dire qu’il y a des critères qui peuvent donner de la crédibilité à notre corrélation.
Premièrement, la sélectivité de la région, si d’autres études précisent que la région est impliquée dans plusieurs fonctions différentes alors sa sélectivité est faible et donc la région impliquée dans le processus est floue.
Deuxièmement, plus la région est petite concernant notre paradigme plus elle a des chances d’être sélective donc plus la région pourra être particulièrement liée au processus.
Troisièmement, l’ontologie. L’ontologie est le classement d’un système. En l’occurrence, ce qui nous intéresse sont les fonctions cognitives. Donc, mieux l’ontologie sera complète, précise, étayée plus la région est réellement impliquée dans la fonction. Sachant qu’aujourd’hui il n’y a pas de réelle ontologie cognitive. La communauté scientifique recherche un consensus clair.

Exemple d’une ontologie de la mémoire
Et, quatrièmement. La tâche cognitive. Plus la tâche cognitive engage précisément le processus cognitif et n’est pas trop vague, plus les régions indiquées seront fiables.
Ces règles-là sont aussi importantes pour l’inférence directe qu’inverse. En fin de compte, il n’y a pas forcément meilleure inférence, cela dépend surtout du contexte de la recherche.
Pour conclure, je donnerai un extrait d’un article des enjeux éthiques de la neuroimagerie fonctionnelle qui nous résume très bien ce qu’est l’IRMf, ce qu’elle transmet et ce qu’elle nous fait susciter en chacun de nous.
“Les mesures physiologiques révélées par l’IRMf sont incertaines pour évaluer la pensée d’un individu car ce n’est que le corrélat entre une activité cérébrale mesurée physiquement et un « processus mental » souvent complexe comme les états et contenus de conscience, de langage, de mémoire, de perception. On ne peut parler de relations de causalité identifiées par IRMf. La visualisation de modifications d’activation ou d’inhibition métabolique permet d’expliquer les rouages du fonctionnement ou du dysfonctionnement neuronal à l’origine d’un comportement attendu et privilégié, ou insolite et catastrophique. Mais ce n’est pas pour autant qu’on peut y lire un état de pensée, une représentation mentale, une sémantique ou le contenu cognitif véhiculé par le circuit de neurones impliqué. L’image recueillie n’est pas la réalité. De même qu’une idée ne ressemble pas à la réalité mais ne ressemble qu’à une autre idée, une image ne ressemble qu’à une image. Le concept du « bleu » n’est pas bleu et le concept de chien n’aboie pas. L’image ne se suffit donc pas. Elle suppose une règle de traduction et d’interprétation qui est donnée dans un contexte d’apprentissage et celui-ci est relatif à un monde dans son ensemble et non un simple cerveau. Ce n’est pas parce qu’une pensée évoquée par une tâche proposée au sujet est indiquée par une image que la mise en évidence de cette image indique la pensée et donc le comportement. La configuration des images observées traduit des décharges neuronales, phénomènes matériels, mais ce n’est pas un état mental. Bien plus, les images de l’IRMf ne prennent leur sens que lorsqu’elles sont confrontées au contexte psychologique.”
Résumé:
-Plus une tâche est rouge, plus la zone est probablement impliquée dans le paradigme de l’étude
-Il existe plusieurs types d’inférence en recherche (directe = déduction, indirecte = induction)
-Les études en imagerie sont compliquées à interpréter
-L’IRMf nous permet de voir indirectement l’activité neuronale
Références:
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Agid, Y., Benmakhlouf, A., Bousser, M.-G., Cossart, P., Dickelé, A.-M., Stoppa-Lyonnet, D., & Vildé, J. L. (2012). Enjeux éthiques de la neuroimagerie fonctionnelle [Rapport n° 116]. Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé. https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/2021-02/avis_116.pdf
