Le rôle de la dopamine dans la motivation : du circuit de la récompense aux dérives des réseaux sociaux
Quand nous cherchons “dopamine” sur internet, nous tombons immédiatement sur la molécule du plaisir, du bonheur, du désir. Elle est aujourd’hui un sujet phare, mais mal vulgarisé où l’on ne comprend pas tout de son rôle. Mais surtout les articles de presse sont très trompeurs.
C’est pourquoi, avec une série d’expériences, nous allons comprendre pourquoi la dopamine n’est ni la molécule du plaisir, ni celle du bonheur. Qu’associer une molécule à un adjectif précis n’a aucun sens et est trop réducteur. Et enfin comprendre son rôle dans le circuit de la récompense.
Expérience 1: Stimulation du rat (Olds et Milner, 1954)
Contexte:
Olds et Milner, deux chercheurs, ont découvert par hasard que la stimulation du septum pouvait provoquer une sensation de plaisir intense, comparable à celle d’un orgasme. Leur expérience consistait à placer un rat dans une cage, avec une électrode implantée sur cette zone du cerveau.

Un levier était installé dans la cage : chaque fois que le rat appuyait dessus, il recevait une stimulation électrique au niveau du septum. Rapidement, l’animal associait le levier à cette sensation de plaisir.
La stimulation étant extrêmement agréable, certains rats appuyaient sur le levier de manière compulsive, au point de négliger totalement leurs besoins vitaux : ils cessaient de manger, de boire ou de dormir, jusqu’à en mourir. Certains abandonnaient même leurs petits ou ignoraient complètement la présence d’une femelle en chaleur introduite dans la cage.
Le septum, situé dans les ganglions de la base, se révèle alors comme un centre qui peut donner du plaisir sur commande (ils découvrent en même temps que plusieurs aires procurent ce plaisir-là, mais cette aire en particulier est la plus puissante).
Photo originelle de l’expérience en 1954:

Explication:
Lorsqu’on stimule le septum, le rat ressent une sensation de plaisir. En analysant son cerveau, les chercheurs observent que cette région reçoit de nombreuses projections dopaminergiques, et que le taux de dopamine augmente lorsque le rat éprouve du plaisir. C’est ainsi que s’est construite, dans un premier temps, l’amalgame entre dopamine et plaisir.
À la suite de cette première expérience, la conclusion initiale est la suivante : la dopamine serait liée au plaisir.
Pour tester cette hypothèse, un groupe de chercheurs décide de créer des souris dites « dopamine KO ». Des animaux dont une partie des circuits dopaminergiques a été détruite. L’objectif est d’observer si, malgré l’absence de dopamine, ces souris ressentent toujours du plaisir lorsqu’on stimule leur cerveau.
Les sensations hédoniques sont les manifestations physiques du plaisir ressenti. Elles peuvent se traduire, par exemple, par le léchage des lèvres, des tremblements des pattes ou un faciès souriant.
Or, même chez les souris privées de circuits dopaminergiques (dopamine KO), les chercheurs observent toujours ces réactions hédoniques. Cela signifie que, malgré l’absence de dopamine, les animaux continuent de ressentir du plaisir.
Donc la dopamine n’est pas directement liée au plaisir.
Cependant, nous savons que la dégénérescence des neurones à dopamine entraîne la maladie de Parkinson. Cela engendre des problèmes cognitifs, moteurs et motivationnels.
Et c’est à ce moment que la motivation et la dopamine seront mises en lien.
Donc la nouvelle hypothèse testée sera : la dopamine a un rôle avec la motivation.
Expérience 2: Dopamine et motivation :
Contexte:
Pour tester le rôle de la dopamine dans la motivation. Deux souris sont utilisées, une souris normale et une souris avec une partie du circuit dopaminergique détruit. Ils reprennent la même mécanique que la première expérience avec une cage et un levier.
Image schématique du rat en cage :

L’expérience vise à mesurer la motivation de l’animal à obtenir une récompense, en augmentant progressivement l’effort nécessaire pour y accéder. Concrètement, le rat doit appuyer un certain nombre de fois sur un levier pour recevoir une dose de sucre.
Au début, une seule pression suffit pour obtenir la récompense. Ensuite, il faut appuyer deux fois, puis quatre fois, puis huit, seize, et ainsi de suite. Plus l’effort demandé augmente, plus l’animal doit être motivé pour continuer à chercher la récompense.
Résultat:
Les souris sans circuits dopaminergiques vont très vite s’arrêter d’appuyer pour avoir les récompenses, alors que les souris normales vont continuer bien plus longtemps.
La dopamine aurait alors un rôle dans la motivation.
Pour mieux comprendre le rôle et comment la dopamine fonctionne. Une expérience très connue nous éclaire sur le sujet, cette étude est conduite sur des macaques.
Dopamine et signal de prédiction d’erreur:
Contexte:
Chaque jour, un macaque reçoit de l’eau en guise de boisson. Un jour, les chercheurs remplacent l’eau par du jus de pomme. En enregistrant l’activité de l’aire tegmentale ventrale (ATV) — une région du cerveau riche en neurones dopaminergiques — ils constatent une forte augmentation de la dopamine lorsque le macaque goûte le jus pour la première fois.
Cependant, au fil des jours, cette réaction dopaminergique change. Une fois que le macaque anticipe la récompense, le pic de dopamine ne se produit plus au moment où il boit le jus, mais plutôt avant, lorsqu’il voit arriver le gardien avec le jus. Le plaisir devient prévisible, et le cerveau ne réagit plus de la même manière une fois la récompense attendue.
Si, en revanche, le macaque reçoit de l’eau à la place du jus attendu, alors une chute brutale de dopamine est observée au moment de la dégustation. Cette chute reflète une déception, une erreur de prédiction.
En résumé, la dopamine ne signale pas seulement la motivation à aller chercher, mais surtout l’écart entre ce qui est attendu et ce qui est reçu. Dès que l’attente est modifiée — que la récompense soit meilleure ou moins bonne que prévu — l’activité dopaminergique varie en conséquence.
En bref:
Si, le singe reçoit une récompense pour la première fois = augmentation de la dopamine (rond bleu)
Si, elle est inattendue = encore plus d’augmentation de la dopamine (rond rouge, quand il voit le chercheur avec du jus de pomme)
Si, elle est récurrente = aucune différence d’activité de la dopamine (rond orange quand il goûte)
Si, il pensait en avoir mais que c’est de l’eau = la dopamine chute et disparaît presque pendant quelques millisecondes (rond violet = il pense en recevoir, puis rond vert = c’est de l’eau)
La dopamine n’a pas que ce rôle de recherche de récompense, mais aussi de prédiction d’erreur.
Si c’est mieux que ce qu’il pensait, alors il y aura une augmentation de la dopamine, pour le motiver à aller le chercher dans le futur. Mais, si c’est comme d’habitude, alors pas d’intérêt à être motivé donc aucune différence d’activité.

Où l’ATV (aire tegmentale ventrale) se situe dans le cerveau :

Circuit de la récompense en bref :
Ce circuit permet d’avoir la motivation pour des comportements adéquats à la survie de son espèce (reproduction, recherche de nourriture, relations sociales…).
En recherche, on parle souvent de trois composantes psychologiques pour cette récompense : la composante motivationnelle, affective et d’apprentissage.
Exemple : (besoin de nourriture)
Je vais à un endroit A, je constate qu’il y a plein de mûres. J’en mange plein (plaisir), j’y retourne même si c’est loin (motivation), et j’y retourne à chaque fois au même endroit grâce à mes souvenirs (apprentissage).
Donc, ça demande une composante de motivation, d’apprentissage/conditionnement et affective (plaisir). Et, c’est entre autres la dopamine qui joue ce rôle de médiateur dans ce circuit, pour avoir constamment envie de rechercher nos besoins fondamentaux.
C’est pourquoi, l’addiction est si forte car elle joue sur ce circuit et nous dévie des besoins essentiels.
Tendances internet:
Même si cela part d’une bonne intention de moins consommer des contenus réseaux sociaux et d’en devenir moins addict. La dopamine reset/détox ou tout agissement sur la dopamine n’a aucun sens d’un point de vue scientifique.
Exemple de titre trompeur:

Cet abus de langage nous dévie de la compréhension de la dopamine dans le circuit de la récompense et son rôle dans l’addiction. Il n’y a pas à détoxifier son cerveau de quoique ce soit, de diminuer ou augmenter sa dopamine. C’est complètement illogique.
Mais, si au final je devais me faire l’avocat du diable, cela fait certainement plus de bien que de mal si les personnes concernées s’y retrouvent et diminuent leur consommation d’écrans et de réseaux sociaux.
Cependant, de plus en plus de titres d’articles trompeurs fleurissent sur internet, même si cela part d’une envie de vulgariser au plus grand nombre. Parler d’hormones du bonheur, de la motivation, du désir est faux scientifiquement. La dopamine, n’est ni nécessaire et ni suffisante pour la fonction de recherche de besoins fondamentaux et est impliqué dans bien d’autres fonctions.
Les neurones agissent tous ensemble, et forment des circuits très complexes et qu’on ne peut réduire aussi facilement.
Tous ces termes et tendances ne sont là que pour s’accorder la crédibilité des neurosciences mais n’expliquent en aucun cas son fonctionnement. Les phrases réductionnistes du type “La dopamine : hormone du bonheur” sont à bannir du vocabulaire.
Pour finir, n’oublions pas que la dopamine a un rôle dans bien d’autres circuits comme la prise de décision, la locomotion, l’apprentissage et dans certainement bien d’autres circuits encore.
Nom d’article internet avec des titres trompeurs:

Ce qu’il faut retenir:
La dopamine agit dans plein de fonctions différentes (apprentissage, locomotion, prise de décision…).
Elle joue un rôle primordial dans la recherche des besoins fondamentaux associés au circuit de la récompense (motivation). Mais aussi dans l’attente de ces récompenses (rôle de la prédiction d’erreur).
La dopamine n’est pas directement liée au plaisir mais indirectement.
Ne pas tomber dans le panneau de titres d’articles abusifs.
On ne peut pas détoxifier son cerveau de la dopamine, ni en réduire ou en augmenter, mais on peut changer ses habitudes, sa consommation de produits gratifiants …
Conclusion:
Continuons à cultiver notre intérêt pour les sciences, mais diversifions nos sources sans tomber dans de la vulgarisation qui détourne l’objectif de base.
📚 Références :
Académie nationale de médecine. (2016). Conditionnement et circuit de récompense. https://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2016/03/PAGES-DE-1283-1296.pdf
Galineau, L. (s.d.). Cours de neurosciences. Faculté de Psychologie, Université de Tours.
Le cerveau à tous les niveaux. (s.d.). Image de l’ATV. https://lecerveau.mcgill.ca/ (remplace le lien par celui de l’image si tu l’as)
MAAD Digital. (s.d.). Neurotransmetteurs et substances psychoactives : dopamine et addiction. https://www.maad-digital.fr/dossiers/neurotransmetteurs-et-substances-psychoactives-5-dopamine
Moine, C., & Amalric, M. (2018). Dopamine, motivation et locomotion : une organisation en mosaïque. Médecine/Sciences, 34(6–7), 589–596. https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2018/06/medsci180108s/medsci180108s.html
National Geographic. (s.d.). Santé, hormones, cerveau, psychologie : la dopamine ne rend pas heureux. https://www.nationalgeographic.fr/sciences/sante-hormones-cerveau-psychologie-la-dopamine-ne-rend-pas-heureux
Olds, J., & Milner, P. (1954). Positive reinforcement produced by electrical stimulation of septal area and other regions of rat brain. Journal of Comparative and Physiological Psychology, 47(6), 419–427. https://psycnet.apa.org/record/1955-06866-001
Planet-Vie. (s.d.). Le circuit de la récompense. ENS. https://planet-vie.ens.fr/thematiques/animaux/systeme-nerveux-et-systeme-hormonal/le-circuit-de-la-recompense
Schultz, W. (2006). Behavioral theories and the neurophysiology of reward. Annual Review of Psychology, 57, 87–115. https://doi.org/10.1146/annurev.psych.56.091103.070229
Sciences et Avenir. (2023). Mémoire : c’est la dopamine qui sélectionne nos souvenirs. https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/decouverte-sur-notre-memoire-c-est-la-dopamine-qui-selectionne-nos-souvenirs_178752
Université Grenoble Alpes. (s.d.). Penser dopamine détox. https://neurosciences.univ-grenoble-alpes.fr/fr/actualites/penser-dopamine-detox
